Chapitre 10

안녕하 세요 모든 당신은 연 기 할 수 있습니다*

*Bonjour à tous, vous pouvez fumer

Je rejoins donc Samsung Research America (SRA) début Septembre 2013, parfaitement heureux de rejoindre un groupe étoffé dans un grand groupe mondial, et je m'envole pour la Californie pour quelques jours. Et c'est avec fierté et excitation que le 3 Septembre au matin, je me présente au siège de SRA pour la création de mon badge et... et c'est tout. Première surprise, alors que mes patrons m'ont annoncé ne faire strictement aucune différence entre employé et contractor, je n'ai pas le droit au laïus organisationnel sur SRA et le fonctionnement des outils de l'entreprise. À la limite, je ne m'en porte pas plus mal mais cela m'étonne tout de même un peu. Je passe également très vite voir le service IT pour récupérer un MacBookPro, qui malgré toutes les demandes effectuées par moi-même ou mon patron arrivera avec un clavier américain et non un clavier français. Par contre l'obtention d'un adaptateur VGA et d'un adaptateur Ethernet sera chose tellement impossible (jamais compris pourquoi...) que je finirai par passer à l'Apple Store et faire ma première note de frais !

Logo Samsung Open Source Group
Logo Samsung Open Source Group

Les bureaux de mon groupe n'étant pas dans le même bâtiment ni même dans la même rue, je reprends ma voiture et fais deux petits kilomètres pour les rejoindre. À l'arrivée, nouvelle surprise : mon badge ne marche pas dans ce building... Il faudra 4 jours pour arriver le faire fonctionner, le badge étant enfin activé juste au moment de mon départ le dernier jour. Mais bon, on m'ouvre, je suis accueilli par un silence assourdissant puisque les gigantesques bureaux sont quasiment vides (il n'est que 10h30 du matin après tout...) et je me tourne gentiment les pouces en prenant un expresso dans l'attente du premier venu. Quarante minutes plus tard débarque le collègue que j'attendais, le stratège du Groupe. La présentation de mon activité est pour le moins succincte, la présentation du Groupe et de son contexte pénible au vu du nombre de noms (souvent coréens) et de titres jetés en pâture. Rien de tout cela ne m'inquiète pour l'instant, évidemment. Chaque entreprise a sa culture propre et je suis dans un très grand groupe mondial qui a sa pesanteur et son organisation personnelles.

Arrive une heure plus tard le patron du Groupe, qui ne m'accordera que trois minutes montre en main, dont deux et demie de politesses d'usage. Suite à un pépin personnel, il repartira deux petites heures plus tard sans m'avoir accordé le moindre temps et je ne le reverrai pas avant mon départ des USA, plusieurs jours plus tard. Nous aurions pu au moins passer un peu de temps ensemble au téléphone, mais non, rien. Je n'ai donc aucune feuille de route, aucune mission immédiatement définie, rien à faire si ce n'est découvrir ce nouvel environnement.

J'en profite donc pour me familiariser avec les procédures internes et rencontrer les (rares) gens présents sur place ce matin-là :

Après avoir découvert avec effroi le système d'information totalement antédiluvien et surtout affreusement lent de Samsung utilisable uniquement sur une version ancienne d'Internet Explorer avec le plugin Java (comme tout en Corée, quoi...), je finis par réussir à commander des cartes de visite, attribut dont je me passe d'habitude très bien mais qui est vraiment important dans une entreprise asiatique. Mon titre est « Web Technologies Lead » et mon groupe est l'Open Source Group. J'utilise mon titre en public depuis plusieurs jours déjà, depuis en fait l'annonce de mon entrée chez Samsung. Je retourne à mon hôtel après cette première journée avec un sentiment de n'avoir rien fait d'utile ou productif ni rencontré personne mais je ne m'inquiète toujours pas, ce n'est après tout que la première journée.

Dès le lendemain (mon second jour dans l'entreprise), les choses commencent à partir en vrille... Tout d'abord, mes cartes de visites sont refusées par les HR. Malgré tous mes efforts, malgré le fait que ce titre ait été voulu par mon patron en personne et rendu public par Samsung il y a déjà un bon moment, je n'arriverai pas à faire accepter le titre présent dans mon contrat par les HR. Mon patron n'y arrivera pas mieux, un grand indicateur de son influence limitée. En vingt ans, c'était la première fois que je voyais une carte de visite pour un titre négocié par contrat refusée dans une entreprise présente en Silicon Valley. Mon patron, à mon grand étonnement, me dira dans une conversation par mail que je m'attache à un détail et que je devrais être très content de « Sr. Advisor, Web » qui est un bien meilleur titre... Ben voyons.

Je m'en ouvre sur IRC au Stratège qui est à ce moment-là hors des bureaux. Il me propose alors que l'on se parle au téléphone mais mon cubicle n'a pas encore de poste téléphonique... Il me demande alors de rentrer dans la première salle de réunion sur la gauche et de l'appeler. Au beau milieu de la discussion téléphonique dans la salle de réunion, alors qu'il y a trois grigris sans aucun intérêt et surtout sans aucune confidentialité requise sur le tableau blanc, un type passe la tête dans la salle. Il est furax, il m'engueule comme du poisson pourri, il est noir de colère, m'annonce que je n'ai rien à faire dans cette salle à cause de la confidentialité du tableau et pousse une vraie gueulante. Je lui signale alors que j'étais dans cette salle à la demande d'un de mes patrons. Le Stratège, qui est toujours au téléphone et entend tout, se rend compte que la situation dérape de façon inacceptable, me présente ses excuses et me dit que la conduite du gars, que nous appellerons S., est inappropriée (fourre-tout sémantique spécifique aux USA et qui peut mener très, très loin) et que cela ne va pas en rester là. En fait, cela en restera là. Je n'aurai ni excuses, ni explications, et le S. en question se fera fort au cours des mois suivants de me fusiller du regard avec un petit sourire narquois, moi lui répondant avec une marque franche de désintérêt total, à sa plus grande colère.

Un peu choqué par ces premières 36 heures, je me demande franchement ce que je fous là. Le Stratège s'évertue à me faire oublier mon envie de claquer la porte dans la foulée et heureusement, les premières demandes réellement professionnelles arrivent le jour même. Il s'agit de commencer à implémenter des fonctionnalités nouvelles dans Blink et Servo, pile ce qu'il me fallait pour me changer les idées.

Une autre tuile me tombe dessus avant mon départ des USA : ma demande de carte de crédit « corporate » ne passe pas. Malgré tous les essais, nombreux, et les tentatives de mon admin pour résoudre le problème, rien n'y fait. Après une étude minutieuse du système de demande (l'usine à gaz sous Windows/Internet Explorer/Java), je finis par comprendre : c'est tellement mal foutu et tellement américano-centrique que la clé RIB de mon compte bancaire doit obligatoirement être 01 ou 02... Aux USA, la clé RIB est souvent utilisée non pas comme checksum du compte mais comme information complémentaire !!! Comme ma clé n'est ni 01 ni 02, cela ne passe pas. De plus, et au contraire des affirmations de mon patron, les contractors et les employés ne sont pas du tout traités de la même manière. Après moult efforts, je devrai renoncer et rester le seul membre de l'équipe dans l'impossibilité d'utiliser une carte de crédit « corporate » pour ses déplacement professionnels...

Je suis de retour depuis quelques jours en France quand, un soir, mon VP me demande par mail à pouvoir me téléphoner immédiatement. Pour faire court, un Président quelconque de Samsung a du avoir la brillante idée pendant qu'il se vidait la vessie d'organiser, je cite, un cycle de conférences qui deviendrait une référence des meetups Web dans la Silicon Valley, fin de citation. Comme c'est un Président coréen, il a fait immédiatement transmettre sa demande en Californie, même en milieu de nuit. Et comme c'est un Président coréen dans une entreprise coréenne, c'est la panique à bord, je n'exagère aucunement. Dans les trois heures qui suivent, une équipe est mise en place, une responsable est nommée, un plan d'action est discuté et nous nous apprêtons à recevoir dignement au minimum Tim Berners-Lee, Vint Cerf, Brendan Eich, Al Gore, Barack Obama et le Pape lui-même, car Benjamin Franklin, Albert Einstein et Alan Turing ne sont pas disponibles. Et à distance évidemment puisque la gestion de cet événement d'importance planétaire qui aura lieu en Californie est confiée à des Coréens bossant depuis Suwon (siège de Samsung) en Corée... Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, hein ?

Évidemment, tout cela fera un assez gros pschitt et on passera d'un événement majeur avec des méga-stars dans un hôtel bien placé à un meetup de douze personnes (dont les orateurs...) dans une petite salle de réunion de SRA dans la zone industrielle de San José. Mais cela n'a aucune importance : un Président a donné un ordre et l'ordre a été exécuté. On peut ainsi faire passer une case d'un rapport d'activité de blanc à vert, en évitant soigneusement le jaune et le rouge, et rien d'autre ne compte. Le vert aurait été atteint même si seulement un seul extérieur était venu assister au meetup... Gag ultime, mon VP ne pouvait même pas envoyer lui-même les invitations à ce meetup et devait les faire valider par son Président en Corée. Son propre commentaire en réponse à mon étonnement : « bienvenue chez Samsung »...

Côté technique, je constate rapidement que le MacBookPro fourni par Samsung est difficilement utilisable dans un environnement multi-plateformes, pourtant obligatoire pour bosser sur des navigateurs Open Source... En effet, le MacBookPro a été « blindé » par le service IT et il est impossible de désactiver même temporairement le ScreenSaver qui se déclenche automatiquement au bout de deux minutes d'inactivité seulement. Travailler sur une machine de bureau à côté de ce laptop déclenche donc le ScreenSaver rapidement et je ne vois plus les mails professionnels entrants ou notre channel IRC, qui sont tous deux évidemment derrière un VPN, sans devoir entrer toutes les deux minutes le mot de passe de mon compte... Pire, je n'arrivais même pas à installer Xcode, le compilateur sous OS X, correctement. Il me faudra déployer des efforts intenses auprès du type le plus cool du Service IT pour faire débloquer cela. Et encore cela se fera-t-il en confidentialité totale avec la promesse de ne pas dire qu'on m'avait fait cette impensable faveur. À la sortie d'OS X Yosemite, mon contact aura quitté l'entreprise, et nous n'obtiendrons jamais l'autorisation de mettre à jour nos Macs. La raison fournie était que « de nombreux logiciels fournis sur votre Mac ne fonctionneront plus ». Au bout de plusieurs mois, nous sommes évidemment bloqués. Les environnements de développement et compilation ont évolués et la mise à jour vers Yosemite est devenue absolument indispensable. Bien entendu, cette mise à jour que nous effectuerons sans autorisation n'aura strictement aucun impact sur les logiciels installés et tout se passera à merveille. Plusieurs mois de perdus pour rien.

Entre temps, mon emploi du temps pour Septembre-Octobre s'est rempli à vue d’œil : 

En clair et décodé, je vais avoir 3 semaines et demie assez délirantes et je demande donc l'autorisation de faire au moins les voyages intercontinentaux en Premium Voyageur, mon dos et ses lumbagos à répétition étant ce qu'ils sont. Refus net et catégorique tant de mon patron que des RH. Ahem...

Le poids du reporting commence aussi à se faire sentir. Outre le rapport hebdomadaire, on doit faire des rapports sur tout, tout le temps. On doit même agréger nos rapports hebdomadaires en un rapport mensuel (sic). Tout est mis sur notre Wiki, une véritable révolution à l'intérieur de Samsung. L'Open Source Group était à l'époque, avec ses usages d'IRC, mailing-listes et Wiki, et surtout son évitement du système d'information interne, de loin le groupe le plus « libéral » de tout Samsung. Nous n'avions cependant aucune idée de qui lisait ces rapports, n'avons jamais obtenu de feedback de qui que ce soit, mais nous devions continuer à consacrer environ 1/6ème de notre temps à ces travaux administratifs. Au pire moment, il m'a fallu consacrer la moitié d'une semaine de travail au reporting...

De toute manière, tout dans ces rapports était pipeauté de façon hallucinante sinon notre hiérarchie nous demandait de le réécrire... J'insiste et confirme : si nos propos n'étaient pas hyper-positifs et hyper-valorisants, ils ne passaient pas les fourches caudines et on nous les faisait réécrire ! Voici un petit glossaire utile à la compréhension de nos rapports internes. Dans la colonne de gauche, un verbatim extrait des rapports, et dans la colonne de droite, la signification réelle ; ce ne sont pas des cas hypothètiques, ils ont tous réellement eu lieu.

La réunion a été un franc succès. Nous avons traversé la moitié de la planète pour découvrir que la réunion sur ce sujet majeur pour l'entreprise prévue pour 75 personnes au moins au niveau VP entrait en collision avec un séminaire managérial sur la culture de la patate douce sur les hauts plateaux tibétains et que la salle de 75 sièges contenait à peine douze personnes sans aucun pouvoir décisionnel.
La présentation a déclenché de nombreuses questions. Un orateur occidental invité a posé une question de politesse et un Coréen a fait un commentaire incompréhensible.
L'image de Samsung a été grandement rehaussée. Tout le monde s'en fout.
Le représentant officiel de Samsung dans cette organisation devrait intervenir en faveur de cette proposition. Nous savons pertinemment que cela ne sera pas le cas mais comme toujours, nous essayons quand même.
Une réponse devra être fournie à notre partenaire avant la fin de la semaine. En fait, cette réponse doit être fournie dans les deux mois. Mais si on dit deux mois, on l'aura dans six mois minimum. Donc on dit 4  jours maximum.
L'intervention de Samsung a été importante et saluée comme telle. Aucun commentaire sur cette intervention de Samsung n'a été fait parce que le sujet n'intéresse absolument personne.
La coopération entre ces deux Divisions de Samsung a été exemplaire. Ils ont refusé de nous donner la moindre information et en retour ils ont été virés de la mailing-list de travail. En fait, nous avons travaillé seuls dans notre coin, comme d'habitude, et ils n'utiliseront jamais nos résultats même si cela leur éviterait deux mois de travail en plus, comme d'habitude.
De nombreux contacts ont été établis. Nous revenons avec une collection de cartes de visite totalement inutiles car nous n'avons absolument pas réussi à discuter avec les porteurs des dites-cartes de visite au-delà des banalités de politesse. Nous avons leurs titres mais nous ignorons complètement ce qu'ils font vraiment.

Conformément à mes discussions d'embauche, je m'active également pour faire passer mon rôle de Co-chairman du CSS Working Group sous les ailes de Samsung. Mais Samsung n'est pas encore membre du Groupe. Il me faudra plus de deux mois d'efforts intenses, de rappels réguliers et lourdement insistants, pour que Samsung rejoigne finalement - comme prévu depuis des mois - le CSS Working Group et que j'y sois nommé en leur nom. J'aurai appris que la réponse la plus courante que fournit un Coréen quand il ne peut - ou ne veut - dire oui est « it's going to be difficult » quand il vous respecte et veut être poli, mais un sourire sans un mot quand il n'en a rien à foutre de vous.

Je pars pour Berlin après un beau patakès créé par le service de voyages de SRA qui n'avait pas l'aéroport de Berlin Tegel dans ses listes (sic) et j'y reçois un prix pour mon implémentation de la spec ITS 2.0 dans BlueGriffon. À mon retour, un message m'annonce que non seulement je serai orateur à la conférence interne à laquelle je dois assister en simple spectateur en Corée mais que j'aurai 2h30 de parole !!! Soit trois fois plus que ma conférence la plus longue jusqu'à ce jour... Wow.

J'atterris donc à l'aéroport international d'Incheon un petit matin frais, et le soleil levant et l'heure et demie de taxi pour rejoindre Suwon vont me laisser le temps de me rendre compte qu'aucun de mes repères n'est valable dans ce pays. Tout d'abord, alors que la Corée du Sud est capitaliste et a été une dictature militaire anticommuniste, l'habitat a l'air collectiviste. C'est très étonnant, voire choquant. Au plus bel endroit de la baie d'Incheon, avec une vue exceptionnelle sur le majestueux pont qui enjambe la baie et tout l'archipel qui lui fait face, une ville de gratte-ciels champignons est en train de sortir de terre, en bord de baie. Chaque immeuble a au moins 30 étages et porte le logo d'une grande compagnie : Samsung, LG, Daewoo et j'en passe. Et des immeubles comme ça, il doit y en avoir une centaine en construction... Aux normes européennes, c'est absolument hideux, épouvantable, une défiguration du paysage sublime de cette côte ; aux normes coréennes, mon chauffeur de taxi me vante la beauté de ce nouveau programme immobilier et me signale qu'il déménagerait là immédiatement s'il le pouvait. Sur tout le trajet, le paysage hésitera entre forêts magnifiques et architecture collectiviste. Étonnant.

Bâtiments d'habitation en Corée
Bâtiments d'habitation en Corée,
spectacle omniprésent de tours hideuses.

À mon arrivée à Suwon, je retrouve à l'hôtel des collègues de mon Groupe dont des Finlandais, particulièrement en colère contre Samsung. Ils pestent, râlent, montrent leur mauvaise humeur comme savent parfaitement le faire les Finlandais de langue finnoise quand ils sont mécontents. Je ne comprends pas encore toutes les raisons de leurs râleries, mais ils ont l'air d'en avoir gros sur la patate contre Samsung en général et mon patron (qui est aussi le leur) en particulier. Je pars pour une balade en ville, évitant les stands de dégustation de poulpe vivant (si, si...). Au contraire du Japon, la propreté n'est pas omniprésente et obligatoire. Les trottoirs sont souvent défoncés, et les vendeurs de rue sont souvent des paysans très pauvres venant écouler leurs produits en ville, souvent à même le sol. Je ne le sais pas encore, mais il y a dans ce pays Seoul et le reste et même dans Seoul, il y a les quartiers chics et le reste. Suwon est une ville dont la partie moderne est particulièrement laide, sans attrait aucun et d'où il n'y a absolument rien à ramener. Même l'électronique est hors de prix, même les produits Samsung sont hors de prix dans la boutique Samsung pour les employés Samsung. La vieille ville, avec ses murailles et temples, est bien plus agréable mais aussi relativement peu accueillante. L'anglais est très peu parlé, et on me montre plus d'une fois que les occidentaux sont décidément une faune assez bizarre.

L'entrée sur le campus de Samsung est particulièrement pénible, même pour nous qui sommes de l'entreprise. En gros, venir avec un matériel électronique quel qu’il soit est une source garantie de très gros problèmes. C'est au point que nous ne pouvons prendre avec nous nos laptops et nos téléphones mobiles qui restent dans le coffre de notre chambre d'hôtel. Une clé USB est clairement passible de la peine de mort et le WiFi est une technologie qui n'est pas encore disponible chez Samsung... Nos présentations ont donc du être transmises plusieurs jours à l'avance. Seuls les « VIP » peuvent passer le contrôle plus facilement mais ce statut n'est accessible qu'aux non-employés, ou à partir des VPs...

Après mes deux heures et demies de speech dans la très grande Salle du Conseil d'Administration de Samsung, mon constat est très mitigé... Il y a dans la salle une quinzaine d'occidentaux, tous orateurs ou organisateurs, et une soixantaine de Coréens. À l'issue de mes deux heures et demies d'effort, un seul Coréen (un Vice-Président) a posé une question plutôt incompréhensible en transpirant de trouille par tous les pores de sa peau à cause de son mauvais anglais et je suis incapable de dire si mon discours a plu ou pas. Il me semble que oui - et cela me sera confirmé à 100% par la suite - mais impossible à dire sur le moment. Dès la fin de nos discours, tous les Coréens quittent la salle comme un seul homme à la suite de leurs managers. Comme il y a des Exécutifs présents, jamais un ingénieur simple ne se risquera à poser une question ou entamer une discussion avec un invité, cela serait déplacé... Bien entendu, le rapport d'activité du Groupe mentionnera « tremendous success with lots of questions from the audience after an entertaining talk » !

Après un repos court mais mérité et surtout un bon litre d'eau, on vient m'annoncer que je suis « convoqué » à une réunion sur un sujet technique dans mes cordes. Je suis alors immédiatement escorté jusqu'à un autre bâtiment pour me retrouver debout au tableau en face d'une table en U avec une douzaine de personnes assises autour (dont un occidental). On me demande alors de prendre, là, tout de suite, à brûle-pourpoint, une décision sur les nouveautés technologiques à implémenter dans un projet donné.

Je manque évidemment de m'étrangler... Je suis chez Samsung depuis un mois, en Corée depuis moins de 24 heures chrono, je n'ai pas encore été informé de la stratégie produit ou technique en question, je manque de contexte et on me demande une décision finale sur un sujet absolument majeur en quelques minutes... C'est un avis qui normalement demanderait la présence obligatoire d'au moins trois directeurs seniors dans une coordination stratégique mais non, malgré toutes mes tentatives de temporisation ou d'acquisition de contexte, je n'obtiens qu'un sourire muet puis la réitération de la question de départ.

Au bout d'une heure et demie, oui une heure et demie, de ce petit jeu de chat et souris, j'en ai marre. Cette situation est tout simplement ubuesque, mais je ne suis pas en Occident et je ne souhaite pas commettre d'impair. Je finis donc, après un blanc d'une bonne minute les bras croisés sur mon torse et les yeux fixés sur le responsable de l'équipe qui m'a convoqué, par dire que « si c'était mon projet personnel et si j'étais le seul décisionnaire alors je crois que mon penchant personnel me ferait implémenter ceci et cela mais je le répète, ce n'est valable que dans mon propre cas ». La réunion s'arrêta dans la seconde, les Coréens ayant obtenu leur réponse ! On me remercia avec force sourires et courbettes, me raccompagna illico presto au bas de l'immeuble et au-revoir. Mes préconisations furent, malgré toute la prudence dont je fis preuve dans mes propos, implémentées telles quelles, sans aucun plan, aucune stratégie ni aucun besoin produit sous-jacents. Jamais de ma vie professionnelle je n'ai vu une attitude aussi étonnante et surtout aussi dangereuse que pendant cette réunion chez Samsung. Au moment où j'écris ces lignes, soit plusieurs années plus tard, je reste toujours effaré par cette réunion et son résultat.

Je commence également à avoir des doutes très sérieux sur les capacités managériales de mon patron :

Je repars de Suwon pour Paris et la conférence ParisWeb avec un sentiment diffus de revenir d'une autre planète, une planète sur laquelle l'ingénierie du Logiciel est différente, très différente, de tout ce que j'ai pu rencontrer auparavant. Heureusement, et malgré les conséquences du décalage horaire, ParisWeb se passe magnifiquement bien et me requinque.

logo Next Game Frontier
Logo de notre conférence gaming/Standards du Web

À ParisWeb, j'avais retrouvé avec le plus grand plaisir David Catuhe et David Rousset, les deux géniaux acolytes de Microsoft France sur leur stand de démonstration. Pendant que nous papotions de leur jeu en html5, une idée me vînt : il y a des conférences de gaming, il y a des conférences sur les Standards du Web mais il n'y a pas de conférence dédiée au gaming basé à 100% sur les Standards du Web... Les deux David trouvèrent l'idée tellement extra qu'ils décidèrent de foncer dessus dans la journée. Je rapportais évidemment tout cela à ma hiérarchie qui vit cela d'un très bon œil et nous nous acheminions à grande vitesse vers une conférence organisée mi-Mars dans les locaux de Microsoft France, co-organisée et co-sponsorisée par Samsung et Microsoft... Si la conférence fut un beau succès, plusieurs choses fascinantes se produisirent :

Arrivés dans les bureaux de SRA pour le fameux meetup créé par décision présidentielle, je tombe sur la chairwoman d'un groupe de standardisation citée plus haut, et nous devisons tranquillement à propos de nos Working Groups respectifs et la manière dont la standardisation y avance. Rien que de plus banal et surtout rien de sensible puisque toute cette activité est entièrement publique. Quelques heures plus tard, le VP se retrouve assis à côté de moi et m'engueule... J'aurais parlé à quelqu'un hors de mon groupe et cela ne se fait pas. J'hallucine à tous points de vue ! J'ai causé boulot avec une collègue de ma propre division sur des choses strictement non confidentielles et même publiques, elle a peut-être tout rapporté à sa hiérarchie dans les minutes qui ont suivi, et je me fais engueuler pour ça par mon VP qui n'est pas Coréen mais occidental, pour une discussion d'une banalité affligeante et tout à fait normale. Il va de soi que je suis furieux. Je n'incrimine pas encore la chairwoman, quelqu'un d'autre a pu mal agir. Mais je suis assez choqué par mon VP et l'ambiance générale, je dois le dire.

Je constate alors que nos bureaux de San José sont parfaitement silencieux. Personne n'y parle, sauf au téléphone. Les gens ne se parlent pas quand ils se croisent, sauf brièvement de choses strictement non professionnelles quand ils déjeunent. Je n'ai jamais vu une telle ambiance de travail dans toute la Silicon Valley.

Après cet épisode malheureux, je fonce au meetup, qui se passe très bien. Mon intervention déclenche de nombreux contacts internes (mais occidentaux) à Samsung, et certains de ces contacts sont même devenus des amis. J'ai clairement fait forte impression auprès des occidentaux avec une présentation bien ciblée, même si comme d'habitude les Coréens restent totalement muets. Mais le dîner est encore une fois l'occasion d'un épisode comme je les aime et comme certains chez Samsung les aiment moins.

Le Président de SRA (un Coréen) nous avait tous, orateurs et organisateurs, emmené dîner dans un restaurant de San José. Nous y avions une salle privée avec deux tables parallèles. Il y avait clairement la table des exécutifs et l'autre table. Après le plat de résistance, alors que le Président tripote avec envie son paquet de cigarettes à la première table, je me lève de la seconde pour aller fumer une cigarette dehors. Passant devant lui, je lui propose d'en profiter aussi ce à quoi il répond favorablement dans un grand sourire, pas forcé et franchement amical. Le reste de la table me fusille du regard... Cela hésite entre la consternation, l'effroi, la honte, et l'envie de m'étrangler sur place. Comment puis-je oser adresser la parole à un Président sans y être invité ? Honnêtement, je n'en ai cure. Je commence à en avoir assez de devoir m'adapter à la culture coréenne alors que nous sommes en Californie et que Samsung y a ouvert un centre de recherches pour s'adapter à la culture occidentale. Le Président est souriant, jovial même, et nous rentrons tranquillement dans la salle du restaurant après avoir fumé notre cigarette. A posteriori, cette histoire aurait du m'affoler et me faire fuir immédiatement. Une telle ambiance de travail n'est pas ce que je cherche, ni de près ni de loin. Elle instaure une telle verticalité dans les rapports humains qu'elle ne peut qu'être un frein à la bonne marche de mon travail. Mais je dois être fatigué et toujours confiant, et si je me marre franchement en repensant à la tête furieuse de mon VP, je me dis que j'ai encore beaucoup de choses à faire dans cette très grande entreprise qui m'a embauché.

Côté code, c'est assez sympa. Nous sommes quelques-uns à bosser sur Google Blink et/ou Mozilla Servo et nous arrivons à quelques beaux succès en assez peu de temps. Nous n'avons cependant que peu de stratégie sous-jacente, et toutes nos tentatives d'obtenir des informations complémentaires en provenance de Corée seront vaines.

Pendant ce temps, je découvre par le plus grand des hasards que toute l'équipe finlandaise ou presque a été virée (ce qui peut arriver) mais que le reste de l'équipe n'a pas été prévenu du tout (ce qui est pour le moins désagréable). Apparemment, le sujet est tabou. De toute manière, tous les départs précédents de l'équipe sont toujours gérés par le patron directement qui annonce le départ mais la personne est déjà inaccessible, déconnectée de tout réseau Samsung même quand l'annonce est celle d'un départ dit amiable. C'est très bizarre, très malsain, cela rend toutes ces annonces suspectes et cela donne un sentiment de violence très contre-productive dans un groupe qui s'appelle « Open Source Group ». Mon patron, qui parcourt le monde pour parler de la gestion de l'Open Source, affectionne plus particulièrement le message « Leadership != Control » mais ne l'applique surtout pas en interne dans sa propre équipe.

De toute manière, la gestion de l'équipe est de plus en plus délirante. Nous sommes désormais contrôlés non pas en fonction de l'intérêt pour l'entreprise de nos réalisations mais en fonction du nombre de commits que nous faisons dans les projets Open Source auxquels nous participons. La seule chose qui compte est d'atteindre ou mieux dépasser le nombre de commits planifié... Certains Coréens voient immédiatement la faille, et multiplient les patches éditoriaux ou les trucs triviaux. Dans notre équipe, tout le monde trouve cela totalement stupide mais peu osent en discuter même en privé.

Il faut dire que chez Samsung, toutes les conversations électroniques, vraiment toutes, sont écoutées. Votre mail, tout ce que vous racontez sur IRC, vos sessions Web, votre téléphonie mobile si vous avez le malheur d'avoir un téléphone d'entreprise ou avez installé le client VPN sur votre téléphone personnel. C'est au point que mes patrons eux-mêmes - qui surveillent évidemment à leur niveau mes communications - me demandent d'utiliser GPG pour toutes nos conversations « sensibles » même entre collègues Samsung du même Groupe pour éviter que le Groupe IT (et la chaîne hiérarchique avec) ne mette son nez dedans...

Fin Novembre 2013, il est désormais clair que le siège coréen de Samsung est presqu'entièrement désengagé de Mozilla Servo, malgré les articles de presse de l'année précédente. Il ne reste dans tout Samsung que trois personnes codant sur Servo, et elles sont toutes dans l'Open Source Group de SRA. Côté stratégie, tout ce qui nous revient de Corée est un hallucinant « faites au mieux en notre absence » malgré l'intérêt pour Samsung, évident pour moi, d'un navigateur parallèle utilisant au mieux les architectures multicores.

En Février 2014, je demande à étendre mon voyage aux USA à l'occasion d'une réunion du CSS WG pour un saut de puce de quelques centaines de kilomètres, afin de rendre visite à un important membre du CSS WG ayant de très gros soucis de santé. Je considère en effet que cela fait partie intégrante de mon rôle de co-chairman que de soutenir les membres du Groupe dans des ennuis personnels aussi graves. Cela me sera catégoriquement refusé par mon patron, malgré toutes mes tentatives d'expliquer que je suis co-chair au nom de Samsung et que cela fait partie de mes attributions implicites. Le saut de puce représentait, pour un aller-retour dans la journée, deux cent cinquante dollars, c'est-à-dire quasiment rien. Je n'aurai même pas l'occasion de faire ce déplacement sur mon budget personnel, au vu des contraintes horaires imposées par Samsung pour ce déplacement. Ce point en particulier me reste encore aujourd'hui en travers de la gorge, et si je peux oublier tout le reste, l'attitude montrée par ma hiérarchie en cette occasion exceptionnelle me semble toujours non seulement impardonnable mais surtout déplorable, en particulier quand on s'appelle « Open Source Group ».

Début Avril, alors que le boulot technique reste très agréable mais que tout l'Open Source Group voit que le contexte autour de nous se dégrade de mois en mois, la situation empire brutalement. Je suis en Calfornie pour le second « meetup présidentiel » que j'ai bien entendu aidé à mettre en place. Cela s'est un peu étoffé et il y a bien plus de public réuni dans la cafétéria de SRA à San José. Les interventions sont toutes intéressantes, sauf la première d'entre elles. Andreas Gal, à l'époque VP Mobile chez Mozilla, doit faire un speech dans le scope de la réunion, le futur de JavaScript, mais nous sort finalement le laïus marketing déjà vu une centaine de fois sur FirefoxOS. Il n'a clairement pas eu le temps ou la volonté de préparer autre chose et tout cela sent le réchauffé. Pendant le pôt à la fin de la réunion, mon VP qui se tient à côté du VP des Ressources Humaines (un occidental également) me demande alors mon sentiment sur le meetup. Je lui réponds précisement « Très bien, très réussi, dommage juste qu'Andreas Gal ait été hors sujet ».

Deux jours plus tard, je me retrouve convoqué par mon VP... Je me fait une nouvelle fois engueuler, à ma plus grande stupeur, à la demande expresse du VP des HR pour l'opinion exprimée devant lui sur l'intervention d'Andreas Gal au meetup... Je suis évidemment choqué. Mais c'est surtout la seconde partie de la discussion qui me laissera un goût amer définitif... Lors de mes entretiens d'embauche, j'avais bien précisé que j'étais intéressé par l'élection à l'Advisory Board du W3C, qu'il me semblait que cette élection pour laquelle je me préparais depuis plusieurs années était atteignable, et que j'étais disposé à le faire au nom de Samsung. J'en avais donc reparlé en ce début d'année 2014 à mon patron qui avait accueilli la chose de façon la plus favorable.

Bref, de la discrimination raciale. Et là, j'ai commis deux grosses erreurs : la première, je ne suis pas allé directement au poste de police le plus proche pour porter plainte. J'aurais du. La situation était vérolée au-delà du raisonnable et n'était de toute manière plus sauvable, et mon absence de réaction a été perçue à juste titre comme une faiblesse. Secondo, j'aurais du mettre mon laptop et mon badge sur la table et démissionner dans la seconde. Je ne l'ai pas fait non plus pour deux raisons : premièrement, je pensais avoir encore des choses à faire chez Samsung ; secundo, la paye était excellente.

J'investigue alors en profondeur et découvre chez Samsung un mode de fonctionnement pour le moins étonnant :

J'ai donc fait ce qu'on me demandait. J'ai commencé par donner mon programme électoral, mot pour mot, à Machin. Et j'ai géré entièrement sa campagne électorale jusqu'à - miracle - le faire élire d'extrême justesse à l'Advisory Board du W3C. Lui-même n'avait pratiquement pas fait campagne, et n'aurait jamais été élu si je n'étais pas entré en lice pour lui. Dès les résultats de l'élection, j'ai reçu un mail de remerciements et félicitations de son VP coréen, mais seulement un vague remerciement mou de la part de Machin lui-même.

Quelques-jours auparavant, j'étais en Corée pour une réunion du CSS Working Group à Seongnam et une formation sur deux jours à donner au siège de Samsung. Machin avait été pour le moins distant, voire carrément dédaigneux. Ma hiérarchie m'avait demandé de lui servir de shadow si par miracle il était élu. Évoquant avec lui son élection, il refusa toute discussion, laissant traîner mes demandes de réunion à ce sujet. Quant à mon patron présent sur place également, il fut tout simplement en-dessous de tout. Et comme d'habitude, il n'utilisa évidemment pas notre présence simultanée à tous en Corée pour organiser une réunion de groupe. Je passais cependant avec quelques collègues un dîner fabuleux pendant lequel nous avons discuté à bâtons rompus de la situation de notre Groupe, et nous sommes tous arrivés au constat qu'il y avait de nombreux vers dans le fruit, que l'ambiance était pourrie au-delà de l'acceptable, que l'Open Source Group n'avait d'Open que le nom, et que s'échapper au plus vite de ce bourbier était sans doute aucun la meilleure chose à faire.

Quelques jours plus tard, je suis à Boston pour une réunion du W3C. Le W3C m'a demandé de venir pour faire une présentation. Les Coréens de Samsung qui ne devaient pas être présents et voient mon arrivée d'un mauvais œil (je n'ai jamais compris pourquoi....) se réveillent alors brutalement et déboulent en force à Boston également. S'ils sont logés dans l’hôtel recommandé par le W3C à quelques dizaines de mètres de la réunion, mon patron me refuse les $10 (je dis bien $10) par nuit de surcoût par rapport au budget officiellement alloué (bizarrement, avec le même budget, les Coréens soumis aux mêmes contraintes accédaient à l'hôtel plus cher, eux...) et je me retrouve, seul parmi 120 personnes, à loger à 25 minutes de marche du lieu de la réunion, dans un hôtel franchement moyen en bord de voie rapide. De toute manière, les Coréens m'ignorent totalement puisque je ne suis pas dans leur division ! Même Machin dont je viens de faire l'élection, un succès totalement inespéré, fait semblant de ne pas me voir.

Quarante huit heures plus tard à mon retour en France, le Stratège me tiendra un discours qui brisera définitivement ma confiance, pourtant déjà sérieusement entamée :

Je sors totalement cassé de ces quelques minutes de discussion. Ayant fait élire un membre d'une division ennemie de celle qui « détient » les Standard du Web, je suppose que ma tête doit rouler. Et mes patrons ne me soutiendront pas, même si j'ai seulement exécuté leurs ordres. Ils m'ont clairement utilisé comme fusible, une des rares choses que je ne peux en aucun cas accepter. J'ouvre alors mon traitement de texte et commence à réactualiser mon CV. Cela suffit, je vais quitter au plus vite cette boîte de cinglés, et cette intolérable déloyauté.

Je n'en aurai même pas le temps... Le vendredi 20 Mai 2014 au matin en arrivant au bureau, j'ouvre mon laptop et Thunderbird commence à télécharger les mails de la nuit. Oh, un mail de mon patron sur mon adresse personnelle. Mon contrat s'arrête le jour même, sans raison fournie. Quelle surprise, quelle délicatesse... Mon accès IRC est déjà révoqué, je ne peux même pas envoyer de mail d'au-revoir à mes collègues et mes mails entrants à leurs adresses professionnelles sont filtrés. Via les adresses personnelles, je reçois de nombreux messages de soutien et de regrets en provenance de Samsung. Dont certains à très, très (mais alors vraiment très) haut niveau et et exprimant des opinions carrément insultantes vis-à-vis de mon management direct. Machin, lui, ne m'enverra rien ; pas un mot, pas un message, même indirect. Une telle ingratitude me laisse encore pantois.

À 9h15 du matin, à la réception de ce mail et malgré les signes avant-coureurs et mon envie de fuir, je suis profondément choqué. À 9h30, je suis dans une colère noire, je suis à deux doigts d'écrire un long article - bien plus détaillé que le présent chapitre - vengeur sur mon blog. Et à 10h30, la colère se calme enfin et je ressens un intense soulagement. C'est fini, ce bigntz majuscule est enfin fini... Dès le soir-même à 18h00, je recouvre ma liberté d'action et de parole, et je n'aurai plus à me coltiner cette farce ni ces coups tordus. Je regrette certainement quelques collègues délicieux et la paye plus que décente. Mais un geek marche au plaisir, et j'ai besoin de me réveiller le matin de nouveau avec l'envie d'y aller, ce qui n'est plus le cas chez Samsung depuis un bon moment, malheureusement. Samsung m'a chronologiquement privé de ma liberté de parole, de ma liberté d'action, et même finalement de ma liberté de penser. « Quand les talons claquent, les cerveaux se ferment » disait Clémenceau. Mais je n'ai pas fait carrière dans l'Armée et je considérerai toute ma vie qu'être Ingénieur implique de donner son avis quand on en a un. Chez Samsung, c'est tout simplement impossible, donc très peu pour moi.

J'ai finalement passé neuf mois dans cette entreprise, en ayant l'impression d'y avoir passé trois ans. La maîtrise locale des coups tordus y aura été d'une magnitude stupéfiante. La plupart des occidentaux que j'y connais, qu'ils soient basés en Europe, aux USA, en Inde ou en Corée, n'y restent que pour la carte de visite et la paye, très élevée. Tous, sans exception ou presque, pestent à longueur de journée contre la culture coréenne locale, pourrie jusqu'au trognon et totalement invivable pour un occidental. Ils y creusent un trou, et tentent de s'y faire oublier. À ma modeste mesure, voici mes conclusions :

Soyons très clairs, il est quasiment impossible pour un occidental de travailler en tant qu'employé dans une entreprise coréenne. Non pas que nous soyons incapables de nous adapter à une culture si différente, bien au contraire. Mais il est impossible de s'adapter à ce qui est invisible, ou pire caché. Le racisme des Coréens envers les non-Coréens restera sous les radars mais est une vérité crue. La féodalité des grandes entreprises coréennes est quasi-impossible à assimiler pour un occidental, et les alliances familiales et leurs changements permanents sont imperceptibles à qui ne maîtrise pas à 100% la langue et la culture coréennes. Je ne parle même pas de la corruption, qui atteint des sommets au « pays du matin calme ». Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je recommande fortement la lecture du petit livre « lls sont fous ces Coréens ! Dix ans chez les forcenés de l'efficacité » publié en février 2015 par Eric Surdej aux éditions Calmann Lévy, ISBN 2702144012.

Je referme donc définitivement cette amère parenthèse samsungesque à l'été 2014 et fonce me ressourcer comme d'habitude dans ce Sud-Ouest de la France qui me fait en général tant de bien.